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j’avais eu l’audace d’entrer dans sa maison. Je commençai alors à me justifier ; et je ne lui eus pas sitôt dit que j’avais trouvé la porte du cabinet du jardin ouverte, qu’elle s’écria dans le moment : Juste ciel ! quel soupçon me vient dans l’esprit.

En disant ces paroles, elle alla prendre la bougie sur la table ; elle parcourut toutes les chambres l’une après l’autre, et elle n’y vit ni ses femmes ni sa sœur ; elle remarqua même qu’elles avaient emporté toutes leurs hardes. Ses soupçons ne lui parurent alors que trop bien éclaircis, elle vint à moi avec beaucoup d’émotion, et me dit : Perfide, n’ajoute pas la feinte à la trahison. Ce n’est point le hasard qui t’a fait entrer ici : tu es de la suite de don Fernand de Leyva, et tu as part à son crime. Mais n’espère pas m’échapper ; il me reste encore assez de monde pour t’arrêter. Madame, lui dis-je, ne me confondez point avec vos ennemis. Je ne connais point don Fernand de Leyva ; j’ignore même qui vous êtes. Je suis un malheureux qu’une affaire d’honneur oblige à s’éloigner de Madrid ; et je jure, par tout ce qu’il y a de plus sacré, que, sans l’orage qui m’a surpris, je ne serais point venu chez vous. Jugez donc de moi plus favorablement : au lieu de me croire complice du crime qui vous offense, croyez-moi plutôt disposé à vous venger. Ces derniers mots, et le ton dont je les prononçai, apaisèrent la dame, qui sembla ne plus me regarder comme son ennemi ; mais, si elle perdit sa colère, ce ne fut que pour se livrer à sa douleur. Elle se mit à pleurer amèrement. Ses larmes m’attendrirent ; et je n’étais guère moins affligé qu’elle, bien que je ne susse pas encore le sujet de son affliction. Je ne me contentai pas de pleurer avec elle ; impatient de venger son injure, je me sentis saisir d’un mouvement de fureur. Madame, m’écriai-je, quel outrage avez-vous reçu ? Parlez : j’épouse votre ressentiment. Voulez-vous que je coure après don Fernand, et que je lui perce le cœur ? Nommez-moi tous ceux qu’il faut vous