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tresse que je reconnaissais mon crime, et que je sentais déjà qu’elle était à demi vengée.

Je ne fus pas insensible à cette façon de conquête. Je ne sortis point le reste de la journée, et j’eus grand soin de me tenir à mes fenêtres pour observer la dame, qui n’oublia pas de se montrer aux siennes. Je lui fis des mines. Elle y répondit ; et dès le lendemain elle me manda par son petit page, que, si je voulais la nuit prochaine me trouver dans la rue entre onze heures et minuit, je pourrais l’entretenir à la fenêtre d’une salle basse. Quoique je ne me sentisse pas fort amoureux d’une veuve si vive, je ne laissai pas de lui faire une réponse très passionnée, et d’attendre la nuit avec autant d’impatience que si j’eusse été bien touché. Lorsqu’elle fut venue, j’allai me promener au Prado jusqu’à l’heure du rendez-vous. Je n’y étais pas encore arrivé, qu’un homme monté sur un beau cheval mit tout à coup pied à terre auprès de moi ; et m’abordant d’un air brusque : Cavalier, me dit-il, n’êtes-vous pas le fils du baron de Steinbach ? Oui, lui répondis-je. C’est donc vous, reprit-il, qui devez cette nuit entretenir Léonor à sa fenêtre ? J’ai vu ses lettres et vos réponses ; son page me les a montrées ; et je vous ai suivi ce soir depuis votre maison jusqu’ici, pour vous apprendre que vous avez un rival dont la vanité s’indigne d’avoir un cœur à disputer avec vous. Je crois qu’il n’est pas besoin de vous en dire davantage. Nous sommes dans un endroit écarté ; battons-nous, à moins que, pour éviter le châtiment que je vous apprête, vous ne me promettiez de rompre tout commerce avec Léonor. Sacrifiez-moi les espérances que vous avez conçues, ou bien je vais vous ôter la vie. Il fallait, lui dis-je, demander ce sacrifice, et non pas l’exiger. J’aurais pu l’accorder à vos prières ; mais je le refuse à vos menaces.

Eh bien ! répliqua-t-il après avoir attaché son cheval à un arbre, battons-nous donc. Il ne convient point à une personne de ma qualité de s’abaisser à prier un