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que mes parents se découvrissent, il semblait au contraire qu’ils souhaitassent que ma naissance demeurât toujours inconnue. Dès que le baron me vit en état de porter les armes, il me mit dans le service. Il obtint pour moi une enseigne, me fit faire un petit équipage, et, pour mieux m’animer à chercher les occasions d’acquérir de la gloire, il me représenta que la carrière de l’honneur était ouverte à tout le monde, et que je pouvais dans la guerre me faire un nom d’autant plus glorieux, que je ne le devrais qu’à moi seul. En même temps il me révéla le secret de ma naissance, qu’il m’avait caché jusque-là. Comme je passais pour son fils dans Madrid, et que j’avais cru l’être effectivement, je vous avouerai que cette confidence me fit beaucoup de peine. Je ne pouvais et ne puis encore y penser sans honte. Plus mes sentiments semblent m’assurer d’une noble origine, plus j’ai de confusion de me voir abandonné des personnes à qui je dois le jour.

J’allai servir dans les Pays-Bas : mais la paix se fit fort peu de temps après ; et, l’Espagne se trouvant sans ennemi, mais non sans envieux, je revins à Madrid, où je reçus du baron et de sa femme de nouvelles marques de tendresse. Il y avait déjà deux mois que j’étais de retour, lorsqu’un petit page entra dans ma chambre un matin, et me présenta un billet à peu près conçu dans ces termes : Je ne suis ni laide ni mal faite, et cependant vous me voyez souvent à mes fenêtres sans m’agacer. Ce procédé répond mal à votre air galant, et j’en suis si piquée que je voudrais bien, pour m’en venger, vous donner de l’amour.

Après avoir lu ce billet, je ne doutai point qu’il ne fût d’une veuve appelée Léonor, qui demeurait vis-à-vis de notre maison, et qui avait la réputation d’être fort coquette. Je questionnai là-dessus le petit page, qui voulut d’abord faire le discret ; mais, pour un ducat que je lui donnai, il satisfit ma curiosité. Il se chargea même d’une réponse par laquelle je mandais à sa maî-