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Il faisait voir dans le verre, montrait à tourner le sas[1], et révélait pour de l’argent tous les mystères de la cabale ; ou bien, pour parler plus juste, c’était un fripon qui subsistait aux dépens des personnes trop crédules ; et l’on disait qu’il avait sous contribution plusieurs femmes de qualité.


CHAPITRE IX

Par quel incident Gil Blas sortit de chez la marquise de Chaves, et ce qu’il devint.


Il y avait déjà six mois que je demeurais chez la marquise de Chaves, et j’étais fort content de ma condition. Mais la destinée que j’avais à remplir ne me permit pas de faire un plus long séjour dans la maison de cette dame, ni même à Madrid. Voici l’aventure m’obligea de m’en éloigner.

Parmi les femmes de ma maîtresse, il y en avait une qu’on appelait Porcie. Outre qu’elle était jeune et belle, je la trouvai d’un si bon caractère, que je m’y attachai sans savoir qu’il me faudrait disputer son cœur. Le secrétaire de la marquise, homme fier et jaloux, était épris de ma belle. Il ne s’aperçut pas plus tôt de mon amour, que, sans chercher à s’éclaircir de quel œil Porcie me voyait, il résolut de me faire tirer l’épée. Pour cet effet, il me donna rendez-vous un matin dans un endroit écarté. Comme c’était un petit homme qui m’arrivait à peine aux épaules, et qui me paraissait très faible, je ne le crus pas un rival fort dangereux. Je me rendis avec confiance au lieu où il m’avait appelé. Je comptais bien de remporter une victoire aisée, et de m’en faire un mérite auprès de Porcie ; mais l’événement ne répondit point à mon attente. Le petit

  1. Le sas est un tamis qu’un charlatan sait faire tourner et arrêter sur la personne qu’on soupçonne, etc.