Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/307

Cette page a été validée par deux contributeurs.

réjouir de mes réponses. Nous continuâmes à nous entretenir des femmes qui ont l’art de se masquer ; et le résultat de tous nos discours fut qu’Isabelle demeura dûment atteinte et convaincue d’être une franche coquette. Don Luis protesta de nouveau qu’il ne la reverrait jamais ; et don Félix, à son exemple, jura qu’il aurait toujours pour elle un parfait mépris. Ensuite de ces protestations, ils se lièrent d’amitié tous deux, et se promirent mutuellement de n’avoir rien de caché l’un pour l’autre. Ils passèrent l’après-souper à se dire des choses gracieuses, et enfin ils se séparèrent pour s’aller reposer chacun dans son appartement. Je suivis Aurore dans le sien, où je lui rendis un compte exact de l’entretien que j’avais eu avec la fille du docteur ; je n’oubliai pas la moindre circonstance ; j’en dis même plus qu’il n’y en avait, pour mieux faire ma cour à ma maîtresse, qui fut charmée de mon rapport. Peu s’en fallut qu’elle ne m’embrassât de joie. Mon cher Gil Blas, me dit-elle, je suis enchantée de ton esprit. Quand on a le malheur d’être engagée dans une passion qui nous oblige de recourir à des stratagèmes, quel avantage d’avoir dans ses intérêts un garçon aussi spirituel que toi ! Courage, mon ami, nous venons d’écarter une rivale qui pouvait nous embarrasser ; cela ne va pas mal. Mais, comme les amants sont sujets à d’étranges retours, je suis d’avis de brusquer l’aventure, et de mettre en jeu dès demain Aurore de Guzman. J’approuvai cette pensée, et, laissant le seigneur don Félix avec son page, je me retirai dans un cabinet où était mon lit.