Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/300

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il a charmé, entre autres, une dame qui a de la jeunesse et de la beauté : on la nomme Isabelle. C’est la fille d’un vieux docteur en droit. Elle en est si entêtée, qu’elle en perdra l’esprit assurément. Et dites-moi, ma bonne, interrompit Aurore avec précipitation, est-il de son côté fort amoureux d’elle ? Il l’aimait, répondit Bernarda Ramirez, avant son départ pour Madrid, mais je ne sais s’il l’aime encore ; car il est un peu sujet à caution. Il court de femme en femme, comme tous les jeunes cavaliers ont coutume de faire.

La bonne veuve n’avait pas achevé de parler que nous entendîmes du bruit dans la cour. Nous regardâmes aussitôt par la fenêtre, et nous aperçûmes deux hommes qui descendaient de cheval. C’était don Luis Pacheco lui-même, qui arrivait de Madrid avec un valet de chambre. La vieille nous quitta pour aller le recevoir ; et ma maîtresse se disposa, non sans émotion, à jouer le rôle de don Félix. Nous vîmes bientôt entrer dans notre appartement don Luis encore tout botté. Je viens d’apprendre, dit-il en saluant Aurore, qu’un jeune seigneur tolédan est logé dans cet hôtel ; il veut bien que je lui témoigne la joie que j’ai de loger avec lui ? Pendant que ma maîtresse répondait à ce compliment, Pacheco me parut surpris de trouver un cavalier si aimable. Aussi ne put-il s’empêcher de lui dire qu’il n’en avait jamais vu de si beau ni de si bien fait. Après force discours pleins de politesse de part et d’autre, don Luis se retira dans l’appartement qui lui était destiné.

Tandis qu’il y faisait ôter ses bottes, et changeait d’habit et de linge, une espèce de page, qui le cherchait pour lui rendre une lettre, rencontra par hasard Aurore sur l’escalier. Il la prit pour don Luis ; et lui remettant le billet dont il était chargé : Tenez, seigneur cavalier, lui dit-il, quoique je ne connaisse pas le seigneur Pacheco, je ne crois pas avoir besoin de vous demander si vous l’êtes ; sur le portrait qu’on m’a fait de ce seigneur, je suis persuadé que je ne me trompe point. Non,