Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/297

Cette page a été validée par deux contributeurs.

À ces mots, elle mourut. Le roi garda quelque temps un morne silence. Ensuite il dit à Siffredi, qui paraissait dans un accablement mortel : Voyez, Léontio, contemplez votre ouvrage ; considérez, dans ce tragique événement, le fruit de vos soins officieux et de votre zèle pour moi. Le vieillard ne répondit rien, tant il était pénétré de douleur. Mais pourquoi m’arrêter à décrire des choses qu’aucuns termes ne peuvent exprimer ? Il suffit de dire qu’ils firent l’un et l’autre les plaintes du monde les plus touchantes, dès que leur affliction leur permit de faire éclater leurs mouvements.

Le roi conserva toute sa vie un tendre souvenir de son amante. Il ne put se résoudre à épouser Constance. L’infant don Pèdre se joignit à cette princesse, et tous deux ils n’épargnèrent rien pour faire valoir la disposition du testament de Roger ; mais ils furent enfin obligés de céder au prince Enrique, qui vint à bout de ses ennemis. Pour Siffredi, le chagrin qu’il eut d’avoir causé tant de malheurs le détacha du monde, et lui rendit insupportable le séjour de sa patrie. Il abandonna la Sicile ; en passant en Espagne avec Porcie, la fille qui lui restait, il acheta ce château. Il vécut ici près de quinze années après la mort de Blanche, et il eut, avant que de mourir, la consolation de marier Porcie. Elle épousa don Jérôme de Silva, et je suis l’unique fruit de ce mariage. Voilà, poursuivit la veuve de don Pedro de Pinarès, l’histoire de ma famille, et un fidèle récit des malheurs qui sont représentés dans ce tableau, que Léontio, mon aïeul, fit faire pour laisser à sa postérité un monument de cette funeste aventure.