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soit point alarmée des mouvements de mon cœur, le souvenir de votre tendresse me livre des combats si cruels, qu’il m’en coûte trop pour les soutenir.

Elle prononça ces paroles avec tant de vivacité, qu’elle renversa, sans y penser, un flambeau qui était sur une table derrière elle ; la bougie s’éteignit en tombant. Blanche la ramasse ; et, pour la rallumer, elle ouvre la porte de l’antichambre, et gagne le cabinet de Nise, qui n’était pas encore couchée ; puis elle revient avec de la lumière. Le roi, qui attendait son retour, ne la vit pas plus tôt, qu’il se remit à la presser de souffrir son attachement. À la voix de ce prince, le connétable, l’épée à la main, entra brusquement dans la chambre presque en même temps que son épouse ; et s’avançant vers Enrique avec tout le ressentiment que sa rage lui inspirait : C’en est trop, tyran, lui cria-t-il, ne crois pas que je sois assez lâche pour endurer l’affront que tu fais à mon honneur. Ah ! traître, lui répondit le roi en se mettant en défense, ne t’imagine pas toi-même pouvoir impunément exécuter ton dessein. À ces mots, ils commencèrent un combat qui fut trop vif pour durer longtemps. Le connétable, craignant que Siffredi et ses domestiques n’accourussent trop vite aux cris que poussait Blanche, et ne s’opposassent à sa vengeance, ne se ménagea point. Sa fureur lui ôta le jugement ; il prit si mal ses mesures, qu’il s’enferra lui-même dans l’épée de son ennemi ; elle lui entra dans le corps jusqu’à la garde. Il tomba, et le roi s’arrêta dans le moment.

La fille de Léontio, touchée de l’état où elle voyait son époux et surmontant la répugnance naturelle qu’elle avait pour lui, se jeta à terre et s’empressa de le secourir. Mais ce malheureux époux était trop prévenu contre elle, pour se laisser attendrir aux témoignages qu’elle lui donnait de sa douleur et de sa compassion. La mort, dont il sentait les approches, ne put étouffer les transports de sa jalousie. Il n’envisagea, dans ses derniers moments, que le bonheur de son rival ; et cette