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son père lui eût dit que le roi l’avait assuré que le connétable partirait bientôt après lui. Elle ne doutait pas qu’Enrique ne voulût profiter de la conjoncture, pour la voir et l’entretenir en liberté. Dans cette pensée, elle attendait ce prince, pour lui reprocher une action qui pouvait avoir de terribles suites pour elle. Effectivement, peu de temps après la retraite de Nise, la coulisse s’ouvrit, et le roi vint se jeter aux genoux de Blanche. Madame, lui dit-il, ne me condamnez point sans m’entendre. Si j’ai fait emprisonner le connétable, songez que c’était le seul moyen qui me restait pour me justifier. N’imputez donc qu’à vous seule cet artifice. Pourquoi ce matin refusiez-vous de m’entendre ? Hélas ! demain votre époux sera libre, et je ne pourrai plus vous parler. Écoutez-moi donc pour la dernière fois. Si votre perte rend mon sort déplorable, accordez-moi du moins la triste consolation de vous apprendre que je ne me suis point attiré ce malheur par mon infidélité. Si j’ai confirmé à Constance le don de ma main, c’est que je ne pouvais m’en dispenser dans la situation où votre père avait réduit les choses. Il fallait tromper la princesse, pour votre intérêt et pour le mien, pour vous assurer la couronne et la main de votre amant. Je me promettais d’y réussir ; j’avais déjà pris des mesures pour rompre cet engagement ; mais vous avez détruit mon ouvrage, et, disposant de vous trop légèrement, vous avez préparé une éternelle douleur à deux cœurs qu’un parfait amour aurait rendus contents.

Il acheva ce discours avec des signes si visibles d’un véritable désespoir, que Blanche en fut touchée. Elle ne douta plus de son innocence : elle en eut d’abord de la joie ; ensuite le sentiment de son infortune en devint plus vif. Ah ! seigneur, dit-elle au prince, après la disposition que le destin a faite de nous, vous me causez une peine nouvelle en m’apprenant que vous n’étiez pas coupable. Qu’ai-je fait, malheureuse ? mon ressentiment m’a séduite ; je me suis crue abandonnée ; et