Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/288

Cette page a été validée par deux contributeurs.

plutôt que vous, et du moins vous auriez conservé mon cœur au défaut d’une main qu’un autre n’eût jamais obtenue de moi. Il n’est plus temps présentement de vous justifier. Je suis l’épouse du connétable ; et, pour m’épargner la suite d’un entretien qui fait rougir ma gloire, souffrez, seigneur, que, sans manquer au respect que je vous dois, je quitte un prince qu’il ne m’est plus permis d’écouter.

À ces mots elle s’éloigna d’Enrique avec toute la précipitation dont elle pouvait être capable dans l’état où elle se trouvait. Arrêtez, madame, s’écria-t-il, ne désespérez point un prince plus disposé à renverser un trône que vous lui reprochez de vous avoir préféré, qu’à répondre à l’attente de ses nouveaux sujets. Ce sacrifice est présentement inutile, repartit Blanche. Il fallait me ravir au connétable, avant que de faire éclater des transports si généreux. Puisque je ne suis plus libre, il m’importe peu que la Sicile soit réduite en cendres, et à qui vous donniez votre main. Si j’ai eu la faiblesse de laisser surprendre mon cœur, du moins j’aurai la fermeté d’en étouffer les mouvements, et de faire voir au nouveau roi de Sicile que l’épouse du connétable n’est plus l’amante du prince Enrique. En parlant de cette sorte, comme elle touchait à la porte du parc, elle y entra brusquement avec Nise ; et, fermant après elle cette porte, elle laissa le prince accablé de douleur. Il ne pouvait revenir du coup que Blanche lui avait porté par la nouvelle de son mariage. Injuste Blanche, s’écriait-il, vous avez perdu la mémoire de notre engagement ! Malgré mes serments et les vôtres, nous sommes séparés ! L’idée que je m’étais faite de posséder vos charmes n’était donc qu’une vaine illusion ! Ah ! cruelle, que j’achète chèrement l’avantage de vous avoir fait approuver mon amour !

Alors l’image du bonheur de son rival vint s’offrir à son esprit avec toutes les horreurs de la jalousie ; et cette passion prit sur lui tant d’empire pendant quel-