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Le connétable ne répondit rien aux raisons de son beau-père, soit qu’en effet il commençât à croire qu’il pouvait s’être trompé dans le désordre où était son esprit ; soit qu’il jugeât plus à propos de dissimuler que d’entreprendre inutilement de convaincre le vieillard d’un événement si dénué de vraisemblance. Il retourna dans l’appartement de sa femme, se remit auprès d’elle, et tâcha d’obtenir du sommeil quelque relâche à ses inquiétudes. Blanche, de son côté, la triste Blanche n’était pas plus tranquille ; elle n’avait que trop entendu les mêmes choses que son époux, et ne pouvait prendre pour illusion une aventure dont elle savait le secret et les motifs. Elle était surprise qu’Enrique cherchât à s’introduire dans son appartement, après avoir donné si solennellement sa foi à la princesse Constance. Au lieu de s’applaudir de cette démarche et d’en sentir quelque joie, elle la regardait comme un nouvel outrage, et son cœur en était tout enflammé de colère.

Tandis que la fille de Siffredi, prévenue contre le jeune roi, le croyait le plus coupable des hommes, ce malheureux prince, plus épris que jamais de Blanche, souhaitait de l’entretenir pour la rassurer contre les apparences qui le condamnaient. Il serait venu plus tôt à Belmonte pour cet effet, si tous les soins dont il avait été obligé de s’occuper le lui eussent permis ; mais il n’avait pu, avant cette nuit, se dérober à sa cour. Il connaissait trop bien les détours d’un lieu où il avait été élevé, pour être en peine de se glisser dans le château de Siffredi, et même il conservait encore la clef d’une porte secrète par où l’on entrait dans les jardins. Ce fut par là qu’il gagna son ancien appartement, et qu’ensuite il passa dans la chambre de Blanche. Imaginez-vous quel dut être l’étonnement de ce prince, d’y trouver un homme et de sentir une épée opposée à la sienne. Peu s’en fallut qu’il n’éclatât, et ne fît punir à l’heure même l’audacieux qui osait lever sa main sacrilège sur son propre roi : mais le ménagement qu’il