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lement jaloux. Cet époux, charmé de la posséder, était sans cesse à ses genoux. Il ne lui laissait pas seulement la triste consolation de pleurer en secret ses malheurs. La nuit arrivée, la fille de Léontio sentit redoubler son affliction. Mais que devint-elle, lorsque ses femmes, après l’avoir déshabillée, la laissèrent seule avec le connétable ? Il lui demanda respectueusement la cause de l’abattement où elle semblait être. Cette question embarrassa Blanche, qui feignit de se trouver mal. Son époux y fut d’abord trompé ; mais il ne demeura pas longtemps dans cette erreur. Comme il était véritablement inquiet de l’état où il la voyait, et qu’il la pressait de se mettre au lit, ses instances, qu’elle expliqua mal, présentèrent à son esprit une image si cruelle, que, ne pouvant plus se contraindre, elle donna un libre cours à ses soupirs et à ses larmes. Quelle vue pour un homme qui s’était cru au comble de ses vœux ! Il ne douta plus que l’affliction de sa femme ne renfermât quelque chose de sinistre pour son amour. Néanmoins, quoique cette connaissance le mît dans une situation presque aussi déplorable que celle de Blanche, il eut assez de force sur lui pour cacher ses soupçons. Il redoubla ses empressements, et continua de presser son épouse de se coucher, l’assurant qu’il lui laisserait prendre tout le repos dont elle avait besoin. Il s’offrit même d’appeler ses femmes, si elle jugeait que leur secours pût apporter quelque soulagement à son mal. Blanche, s’étant rassurée sur cette promesse, lui dit que le sommeil seul lui était nécessaire dans la faiblesse où elle se sentait. Il feignit de la croire. Ils se mirent tous deux au lit, et passèrent une nuit bien différente de celle que l’amour et l’hyménée accordent à deux amants charmés l’un de l’autre.

Pendant que la fille de Siffredi se livrait à sa douleur, le connétable cherchait en lui-même ce qui pouvait lui rendre son mariage si rigoureux. Il jugeait bien qu’il avait un rival ; mais quand il voulait le découvrir, il se