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des supplices nouveaux. Si mon malheur est certain, s’écriait-elle, comment y puis-je résister sans mourir ? Impitoyable destinée, pourquoi me repaissais-tu des plus douces espérances, si tu devais me précipiter dans un abîme de maux ? Et toi, perfide amant, tu te donnes à une autre, quand tu me promets une éternelle fidélité ! As-tu donc pu sitôt mettre en oubli la foi que tu m’as jurée ? Pour te punir de m’avoir si cruellement trompée, fasse le ciel que le lit conjugal, que tu vas souiller par un parjure, soit moins le théâtre de tes plaisirs que de tes remords ! que les caresses de Constance versent un poison dans ton cœur infidèle ! puisse ton hymen devenir aussi affreux que le mien ! Oui, traître ! je vais épouser le connétable, que je n’aime point, pour me venger de moi-même, pour me punir d’avoir si mal choisi l’objet de ma folle passion. Puisque ma religion me défend d’attenter à ma vie, je veux que les jours qui me restent à vivre ne soient qu’un tissu malheureux de peines et d’ennuis. Si tu conserves encore pour moi quelque sentiment d’amour, ce sera me venger aussi de toi, que de me jeter à tes yeux entre les bras d’un autre ; et si tu m’as entièrement oubliée, la Sicile du moins pourra se vanter d’avoir produit une femme qui s’est punie elle-même d’avoir trop légèrement disposé de son cœur.

Ce fut dans une pareille situation que cette triste victime de l’amour et du devoir passa la nuit qui précéda son mariage avec le connétable. Siffredi, la trouvant le lendemain prête à faire ce qu’il souhaitait, se hâta de profiter de cette disposition favorable. Il fit venir le connétable à Belmonte le jour même, et le maria secrètement avec sa fille dans la chapelle du château. Quelle journée pour Blanche ! Ce n’était point assez de renoncer à une couronne, de perdre un amant aimé et de se donner à un objet haï ; il fallait encore qu’elle contraignît ses sentiments devant un mari prévenu pour elle de la passion la plus ardente, et naturel-