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J’estime sa personne et son mérite, interrompit Blanche ; mais, seigneur, le roi m’avait fait espérer… Ma fille, interrompit à son tour Siffredi, je sais tout ce que vous pouvez dire là-dessus. Je n’ignore pas votre tendresse pour ce prince, et je ne la désapprouverais pas dans d’autres conjonctures. Vous me verriez même ardent à vous assurer la main d’Enrique, si l’intérêt de sa gloire et celui de l’État ne l’obligeaient pas à la donner à Constance. C’est à la condition seule d’épouser cette princesse que le feu roi l’a désigné son successeur. Voulez-vous qu’il vous préfère à la couronne de Sicile ? Croyez que je gémis avec vous du coup mortel qui vous frappe. Cependant, puisque nous ne pouvons aller contre les destinées, faites un généreux effort : il y va de votre gloire de ne pas laisser voir à tout le royaume que vous vous êtes flattée d’une espérance frivole. Votre sensibilité pour le roi donnerait même lieu à des bruits désavantageux pour vous, et le seul moyen de vous en préserver, c’est d’épouser le connétable. Enfin, Blanche, il n’est plus temps de délibérer. Le roi vous cède pour un trône, il épouse Constance. Le connétable a ma parole ; dégagez-la, je vous en prie ; et s’il est nécessaire, pour vous y résoudre, que je me serve de mon autorité, je vous l’ordonne.

En achevant ces paroles, il la quitta pour lui laisser faire ses réflexions sur ce qu’il venait de lui dire. Il espérait qu’après avoir pesé les raisons dont il s’était servi pour soutenir sa vertu contre le penchant de son cœur, elle se déterminerait d’elle-même à se donner au connétable. Il ne se trompa point : mais combien en coûta-t-il à la triste Blanche pour prendre cette résolution ! Elle était dans l’état du monde le plus digne de pitié. La douleur de voir ses pressentiments sur l’infidélité d’Enrique tournés en certitude, et d’être contrainte, en le perdant, de se livrer à un homme qu’elle ne pouvait aimer, lui causait des transports d’affliction si violents, que tous ses moments devenaient pour elle