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roi : la vue de Blanche lui fit perdre contenance, et le désespoir qu’il remarquait dans ses yeux le mettait hors de lui-même. Il ne doutait pas que, jugeant sur les apparences, elle ne le crût infidèle. Il aurait eu moins d’inquiétude s’il eût pu lui parler ; mais comment en trouver les moyens, lorsque toute la Sicile, pour ainsi dire, avait les yeux sur lui ? D’ailleurs, le cruel Siffredi lui en ôta l’espérance. Ce ministre, qui lisait dans le cœur de ces deux amants, et voulait prévenir les malheurs que la violence de leur amour pouvait causer dans l’État ; fit adroitement sortir sa fille de l’assemblée, et reprit avec elle le chemin de Belmonte, résolu, pour plus d’une raison, de la marier au plus tôt.

Lorsqu’ils y furent arrivés, il lui fit connaître toute l’horreur de sa destinée. Il lui déclara qu’il l’avait promise au connétable. Juste ciel ! s’écria-t-elle, emportée par un mouvement de douleur que la présence de son père ne put réprimer, à quels affreux supplices réserviez-vous la malheureuse Blanche ! Son transport même fut si violent, que toutes les puissances de son âme en furent suspendues. Son corps se glaça ; et, devenant froide et pâle, elle tomba évanouie entre les bras de son père. Il fut touché de l’état où il la voyait. Néanmoins, quoiqu’il ressentît vivement ses peines, sa première résolution n’en fut point ébranlée. Blanche reprit enfin ses esprits, plus par le vif ressentiment de sa douleur, que par l’eau que Siffredi lui jeta sur le visage ; et, lorsqu’en ouvrant ses yeux languissants elle l’aperçut qui s’empressait à la secourir : Seigneur, lui dit-elle d’une voix presque éteinte, j’ai honte de vous laisser voir ma faiblesse ; mais la mort, qui ne peut tarder à finir mes tourments, va bientôt vous délivrer d’une malheureuse fille qui a pu disposer de son cœur sans votre aveu. Non, ma chère Blanche, répondit Léontio, vous ne mourrez point, et votre vertu reprendra sur vous son empire. La recherche du connétable vous fait honneur ; c’est le parti le plus considérable de l’État…