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être séparée de la vôtre ; croyez plutôt que vous seule ferez toujours ma joie et mon bonheur. Perdez donc une crainte vaine : faut-il qu’elle trouble des moments si doux ? Ah ! seigneur, reprit la fille de Léontio, dès que vous serez couronné, vos sujets pourront vous demander pour reine une princesse descendue d’une longue suite de rois, et dont l’hymen éclatant joigne de nouveaux États aux vôtres ; et peut-être, hélas ! répondrez-vous à leur attente, même aux dépens de vos plus doux vœux. Eh ! pourquoi, reprit Enrique avec emportement, pourquoi, trop prompte à vous tourmenter, vous faire une image affligeante de l’avenir ? Si le ciel dispose du roi, mon oncle, et me rend maître de la Sicile, je jure de me donner à vous dans Palerme, en présence de toute ma cour. J’en atteste tout ce qu’on reconnaît de plus sacré parmi nous.

Les protestations d’Enrique rassurèrent un peu la fille de Siffredi. Le reste de leur entretien roula sur la maladie du roi. Enrique fit voir la bonté de son naturel ; il plaignit le sort de son oncle, quoiqu’il n’eût pas sujet d’en être fort touché ; et la force du sang lui fit regretter un prince dont la mort lui promettait une couronne. Blanche ne savait pas encore tous les malheurs qui la menaçaient. Le connétable de Sicile, qui l’avait rencontrée comme elle sortait de l’appartement de son père, un jour qu’il était venu au château de Belmonte pour quelques affaires importantes, en avait été frappé. Il en fit dès le lendemain la demande à Siffredi, qui agréa sa recherche ; mais la maladie de Roger étant survenue dans ce temps-là, ce mariage demeura suspendu, et Blanche n’en avait point entendu parler.

Un matin, comme Enrique achevait de s’habiller, il fut surpris de voir entrer dans son appartement Léontio suivi de Blanche. Seigneur, lui dit ce ministre, la nouvelle que je vous apporte aura de quoi vous affliger ; mais la consolation qui l’accompagne doit modérer