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voir l’artifice. Un habile architecte que le prince avait mis dans ses intérêts fit cet ouvrage avec autant de diligence que de secret.

L’amoureux Enrique s’introduisait par là quelquefois dans la chambre de sa maîtresse ; mais il n’abusait point de ses bontés. Si elle avait eu l’imprudence de lui permettre une entrée secrète dans son appartement, du moins ce n’avait été que sur les assurances qu’il lui avait données qu’il n’exigerait jamais d’elle que les faveurs les plus innocentes. Une nuit il la trouva fort inquiète ; elle avait appris que Roger était très malade, et qu’il venait de mander Siffredi comme grand chancelier du royaume, pour le rendre dépositaire de ses dernières volontés. Elle se représentait déjà sur le trône son cher Enrique ; et, craignant de le perdre dans ce haut rang, cette crainte lui causait une étrange agitation ; elle avait même les larmes aux yeux lorsqu’il parut devant elle. Vous pleurez, madame, lui dit-il : que dois-je penser de la tristesse où je vous vois plongée ? Seigneur, lui répondit Blanche, je ne puis vous cacher mes alarmes ; le roi votre oncle cessera bientôt de vivre, et vous allez remplir sa place. Quand j’envisage combien votre nouvelle grandeur va vous éloigner de moi, je vous avoue que j’ai de l’inquiétude. Un monarque voit les choses d’un autre œil qu’un amant ; et ce qui faisait tous ses désirs, quand il reconnaissait un pouvoir au-dessus du sien, ne le touche plus que faiblement sur le trône. Soit pressentiment, soit raison, je sens s’élever dans mon cœur des mouvements qui m’agitent, et que ne peut calmer toute la confiance que je dois à vos bontés. Je ne me défie point de la fermeté de vos sentiments ; je ne me défie que de mon bonheur. Adorable Blanche, répliqua le prince, vos craintes sont obligeantes, et justifient mon attachement à vos charmes ; mais l’excès où vous portez vos défiances offense mon amour, et, si je l’ose dire, l’estime que vous me devez. Non, non, ne pensez pas que ma destinée puisse