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passa par hasard auprès de nous un paysan qui nous tira d’embarras, sans qu’il y mît beaucoup du sien. Il nous apprit que le château qui s’offrait à notre vue appartenait à dona Elvira de Pinarés ; et il nous dit tant de bien de cette dame, que ma maîtresse m’envoya au château demander de sa part un logement pour cette nuit. Elvire ne démentit point le rapport du paysan ; il est vrai que je m’acquittai de ma commission d’une manière qui l’aurait déterminée à nous recevoir dans son château, quand elle n’aurait pas été la personne du monde la plus jolie ; elle me reçut d’un air gracieux, et fit à mon compliment la réponse que je désirais. Là-dessus, nous nous rendîmes tous au château, où les mules traînèrent doucement le carrosse. Nous rencontrâmes à la porte la veuve de don Pèdre, qui venait au-devant de ma maîtresse. Je passerai sous silence les discours que la civilité obligea de tenir de part et d’autre en cette occasion. Je dirai seulement qu’Elvire était une vieille dame qui savait mieux que femme du monde remplir les devoirs de l’hospitalité. Elle conduisit Aurore dans un appartement superbe, où la laissant reposer quelques moments, elle vint donner son attention jusqu’aux moindres choses qui nous regardaient. Ensuite, quand le souper fut prêt, elle ordonna qu’on servît dans la chambre d’Aurore, où toutes deux elles se mirent à table. La veuve de don Pèdre n’était pas de ces personnes qui font mal les honneurs d’un repas, en prenant un air rêveur ou chagrin. Elle avait l’humeur gaie, et soutenait agréablement la conversation. Elle s’exprimait noblement et en beaux termes : j’admirais son esprit et le tour fin qu’elle donnait à ses pensées. Aurore en paraissait aussi charmée que moi. Elles lièrent amitié l’une avec l’autre, et se promirent réciproquement d’avoir ensemble un commerce de lettres. Comme notre carrosse ne pouvait être raccommodé que le jour suivant, et que nous courions risque de partir fort tard, il fut arrêté que nous