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J’y trouvai vingt pistoles. Aussitôt je pensai qu’Aurore m’en aurait sans doute donné davantage si je lui eusse annoncé une nouvelle agréable, puisqu’elle en payait si bien une chagrinante. Je me repentis de n’avoir pas imité les gens de justice, qui fardent quelquefois la vérité dans leurs procès-verbaux. J’étais fâché d’avoir détruit, dès sa naissance, une galanterie qui m’eût été très utile dans la suite, si je ne me fusse pas sottement piqué d’être sincère. J’avais pourtant la consolation de me voir dédommagé de la dépense que j’avais faite, si mal à propos, en pommades et en parfums.


CHAPITRE III

Du grand changement qui arriva chez don Vincent, et de l’étrange résolution que l’amour fit prendre à la belle Aurore.


Il arriva, peu de temps après cette aventure, que le seigneur don Vincent tomba malade. Quand il n’aurait pas été dans un âge fort avancé, les symptômes de sa maladie parurent si violents, qu’on eût craint un événement funeste. Dès le commencement du mal, on fit venir les deux plus fameux médecins de Madrid. L’un s’appelait le docteur Andros, et l’autre le docteur Oquetos. Ils examinèrent attentivement le malade, et convinrent tous deux, après une exacte observation, que les humeurs étaient en fougue ; mais ils ne s’accordèrent qu’en cela l’un et l’autre. L’un voulait qu’on purgeât le malade dès ce jour-là et l’autre qu’on différât la purgation. Il faut, dit Andros, se hâter de purger les humeurs, quoique crues, pendant qu’elles sont dans une agitation violente de flux et de reflux, de peur qu’elles ne se fixent sur quelque partie noble. Oquetos soutint au contraire qu’il fallait attendre que les