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pas encore à Salamanque, et que je pourrais bien faire une plus mauvaise rencontre. Mon oncle me parut très imprudent de ne m’avoir pas mis entre les mains d’un muletier. C’était sans doute ce qu’il aurait dû faire ; mais il avait songé qu’en me donnant sa mule mon voyage me coûterait moins, et il avait plus pensé à cela qu’aux périls que je pouvais courir en chemin. Ainsi, pour réparer sa faute, je résolus, si j’avais le bonheur d’arriver à Pegnaflor, d’y vendre ma mule, et de prendre la voie du muletier pour aller à Astorga, d’où je me rendrais à Salamanque par la même voiture. Quoique je ne fusse jamais sorti d’Oviédo, je n’ignorais pas le nom des villes par où je devais passer : je m’en étais fait instruire avant mon départ.

J’arrivai heureusement à Pegnaflor : je m’arrêtai à la porte d’une hôtellerie d’assez bonne apparence. Je n’eus pas mis pied à terre, que l’hôte vint me recevoir fort civilement. Il détacha lui-même ma valise, la chargea sur ses épaules, et me conduisit à une chambre, pendant qu’un de ses valets menait ma mule à l’écurie. Cet hôte, le plus grand babillard des Asturies, et aussi prompt à conter sans nécessité ses propres affaires que curieux de savoir celles d’autrui, m’apprit qu’il se nommait André Corcuelo ; qu’il avait servi longtemps dans les armées du roi en qualité de sergent, et que, depuis quinze moins, il avait quitté le service pour épouser une fille de Castropol qui, bien que tant soit peu basanée, ne laissait pas de faire valoir le bouchon. Il me dit encore une infinité d’autres choses que je me serais fort bien passé d’entendre. Après cette confidence, se croyant en droit de tout exiger de moi, il me demanda d’où je venais, où j’allais, et qui j’étais. À quoi il me fallut répondre article par article, parce qu’il accompagnait d’une profonde révérence chaque question qu’il me faisait, en me priant d’un air si respectueux d’excuser sa curiosité que je ne pouvais me défendre de la satisfaire. Cela m’engagea dans un long entretien avec