Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/259

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dition. Il faut, ce me semble, que le galant soit poli, complaisant, tendre et respectueux, sans pourtant être timide. Au lieu de vouloir hâter son bonheur par ses emportements, il doit l’attendre d’un moment de faiblesse.

C’est ainsi que je raisonnais, et je me promettais bien de tenir cette conduite avec Aurore. Je me représentais qu’en peu de temps j’aurais le plaisir de me voir aux pieds de cette aimable dame, et de lui dire mille choses passionnées. Je rappelai même dans ma mémoire tous les endroits de nos pièces de théâtre dont je pouvais me servir dans notre tête-à-tête, et me faire honneur. Je comptais de les bien appliquer, et j’espérais qu’à l’exemple de quelques comédiens de ma connaissance, je passerais pour avoir de l’esprit, quoique je n’eusse que de la mémoire. En m’occupant de toutes ces pensées, qui amusaient plus agréablement mon impatience que les récits militaires de mon maître, j’entendis sonner onze heures. Bon, dis-je alors, je n’ai plus que soixante minutes à attendre ; armons-nous de patience. Je pris courage, et me replongeai dans ma rêverie ; tantôt en continuant de me promener, et tantôt assis dans un cabinet de verdure qui était au bout du jardin. L’heure enfin que j’attendais depuis si longtemps, minuit, sonna. Quelques instants après, Ortiz, aussi ponctuelle, mais moins impatiente que moi, parut. Seigneur Gil Blas, me dit-elle en m’abordant, combien y a-t-il que vous êtes ici ? Deux heures, lui répondis-je. Ah ! vraiment, reprit-elle en faisant un éclat de rire à mes dépens, vous êtes bien exact : c’est un plaisir de vous donner des rendez-vous la nuit. Il est vrai, continua-t-elle d’un air sérieux, que vous ne sauriez trop payer le bonheur que j’ai à vous annoncer. Ma maîtresse veut avoir un entretien particulier avec vous, et elle m’a ordonné de vous introduire dans son appartement où elle vous attend. Je ne vous en dirai pas davantage ; le reste est un secret que vous ne devez