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de Moya ne s’en va pas fort satisfait. Eh ! madame, s’écria Rosimiro, de quoi vous inquiétez-vous ? Les auteurs sont-ils dignes de notre attention ? Si nous allions de pair avec eux, ce serait le moyen de les gâter. Je connais ces petits messieurs, je les connais ; ils s’oublieraient bientôt. Traitons-les toujours en esclaves, et ne craignons point de lasser leur patience. Si leurs chagrins les éloignent de nous quelquefois, la fureur d’écrire nous les ramène, et ils sont encore trop heureux que nous voulions bien jouer leurs pièces. Vous avez raison, dit Arsénie ; nous ne perdons que les auteurs dont nous faisons la fortune. Pour ceux-là, sitôt que nous les avons bien placés, l’aise les gagne, et ils ne travaillent plus. Heureusement la compagnie s’en console, et le public n’en souffre point. On applaudit à ces beaux discours ; et il se trouva que les auteurs, malgré les mauvais traitements qu’ils recevaient des comédiens, leur en devaient encore de reste. Ces histrions les mettaient au-dessous d’eux, et certes ils ne pouvaient les mépriser davantage.


CHAPITRE XII

Gil Blas se met dans le goût du théâtre ; il s’abandonne aux délices de la vie comique, et s’en dégoûte peu de temps après.


Les conviés demeurèrent à table jusqu’à ce qu’il fallût aller au théâtre. Alors ils s’y rendirent tous. Je les suivis, et je vis encore la comédie ce jour-là. J’y pris tant de plaisir, que je résolus de la voir tous les jours. Je n’y manquai pas, et insensiblement je m’accoutumai aux acteurs. Admirez la force de l’habitude ! J’étais particulièrement charmé de ceux qui braillaient et gesticulaient le plus sur la scène, et je n’étais pas seul dans ce goût-là.