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m’apprendre seulement la dixième partie des exploits des comédiennes, car il n’y avait pas plus de trois heures qu’elle en parlait. Les seigneurs et le comédien se retirèrent avec Florimonde, qu’ils conduisirent chez elle.

Après qu’ils furent sortis, ma maîtresse me dit en me mettant de l’argent entre les mains : Tenez, Gil Blas, voilà dix pistoles pour aller demain matin à la provision. Cinq ou six de nos messieurs et de nos dames doivent dîner ici : ayez soin de nous faire faire bonne chère. Madame, lui répondis-je, avec cette somme je promets d’apporter de quoi régaler toute la troupe même. Mon ami, reprit Arsénie, corrigez, s’il vous plaît, vos expressions : sachez qu’il ne faut point dire la troupe, il faut dire la compagnie. On dit bien une troupe de bandits, une troupe de gueux, une troupe d’auteurs ; mais apprenez qu’on doit dire une compagnie de comédiens : les acteurs de Madrid surtout méritent bien qu’on appelle leur corps une compagnie. Je demandai pardon à ma maîtresse de m’être servi d’un terme si peu respectueux, je la suppliai très humblement d’excuser mon ignorance. Je lui protestai que dans la suite, quand je parlerais de messieurs les comédiens de Madrid d’une manière collective, je dirais toujours la compagnie.


CHAPITRE XI

Comment les comédiens vivaient ensemble et de quelle manière ils traitaient les auteurs.


Je me mis donc en campagne le lendemain matin pour commencer l’exercice de mon emploi d’économe. C’était un jour maigre ; j’achetai, par ordre de ma maîtresse, de bons poulets gras, des lapins, des perdreaux, et d’autres petits pieds. Comme messieurs les comé-