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lui. Ensuite m’adressant la parole : Mon enfant, ajouta-t-elle, vous me convenez, et je n’ai qu’un mot à vous dire : vous serez content de moi si je le suis de vous. Je lui répondis que je ferais tous mes efforts pour la servir à son gré. Comme je vis que nous étions d’accord, je sortis sur-le-champ pour aller chercher mes hardes, et je revins m’installer dans cette maison.


CHAPITRE X

Qui n’est pas plus long que le précédent.


Il était à peu près l’heure de la comédie, ma maîtresse me dit de la suivre avec Laure au théâtre. Nous entrâmes dans sa loge, où elle ôta son habit de ville, et en prit un autre plus magnifique pour paraître sur la scène. Quand le spectacle commença, Laure me conduisit et se plaça près de moi dans un endroit d’où je pouvais voir et entendre parfaitement bien les acteurs. Ils me déplurent pour la plupart, à cause sans doute que don Pompeyo m’avait prévenu contre eux. On ne laissait pas d’en applaudir plusieurs, et quelques-uns de ceux-là me firent souvenir de la fable du cochon.

Laure m’apprenait le nom des comédiens et des comédiennes à mesure qu’ils s’offraient à nos yeux. Elle ne se contentait pas de les nommer ; la médisante en faisait de jolis portraits ! Celui-ci, disait-elle, a le cerveau creux ; celui-là est un insolent. Cette mignonne que vous voyez, et qui a l’air plus libre que gracieux, s’appelle Rosarda : mauvaise acquisition pour la compagnie ! on devrait mettre cela dans la troupe qu’on lève par ordre du vice-roi de la Nouvelle-Espagne, et qu’on va faire incessamment partir pour l’Amérique. Regardez bien cet astre lumineux qui s’avance, ce beau soleil couchant : c’est Casilda. Si, depuis qu’elle a des amants, elle avait exigé de chacun d’eux une pierre de taille