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de si honnêtes gens. Eh bien ! repartit-elle, tu n’as qu’à revenir dans deux jours. Je ne te demande que ce temps-là pour disposer ma maîtresse à te prendre : je lui parlerai en ta faveur. J’ai quelque ascendant sur son esprit ; je suis persuadée que je te ferai entrer ici.

Je remerciai Laure de sa bonne volonté. Je lui témoignai que j’en étais pénétré de reconnaissance, et je l’en assurai avec des transports qui ne lui permirent pas d’en douter. Nous eûmes tous deux un assez long entretien, qui aurait encore duré, si un petit laquais ne fût venu dire à ma princesse qu’Arsénie la demandait. Nous nous séparâmes. Je sortis de chez la comédienne, dans la douce espérance d’y avoir bientôt bouche à cour, et je ne manquai pas d’y retourner deux jours après. Je t’attendais, me dit la suivante, pour t’assurer que tu es commensal dans cette maison. Viens, suis-moi ; je vais te présenter à ma maîtresse. À ces paroles, elle me mena dans un appartement composé de cinq à six pièces de plain-pied, toutes plus richement meublées les unes que les autres.

Quel luxe ! quelle magnificence ! Je me crus chez une vice-reine, ou, pour mieux dire, je m’imaginai voir toutes les richesses du monde amassées dans un même lieu. Il est vrai qu’il y en avait de plusieurs nations, et qu’on pouvait définir cet appartement le temple d’une déesse où chaque voyageur apportait pour offrande quelque rareté de son pays. J’aperçus la divinité assise sur un gros carreau de satin, je la trouvai charmante et grasse de la fumée des sacrifices. Elle était dans un déshabillé galant, et ses belles mains s’occupaient à préparer une coiffure nouvelle pour jouer son rôle ce jour-là. Madame, lui dit la soubrette, voici l’économe en question ; je puis vous assurer que vous ne sauriez avoir un meilleur sujet. Arsénie me regarda très attentivement, et j’eus le bonheur de ne lui pas déplaire. Comment donc, Laure, s’écria-t-elle, mais voilà un fort joli garçon ! je prévois que je m’accommoderai bien de