Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/236

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’adresse et de vigueur. Cependant la victoire se déclara pour don Lope. Il perça mon maître, l’étendit par terre, et s’enfuit fort satisfait de s’être si bien vengé. Je courus au malheureux don Mathias ; je le trouvai sans connaissance et presque déjà sans vie. Ce spectacle m’attendrit, et je ne pus m’empêcher de pleurer une mort à laquelle, sans y penser, j’avais servi d’instrument. Néanmoins, malgré ma douleur, je ne laissai pas de songer à mes petits intérêts. Je m’en retournai promptement à l’hôtel sans rien dire ; je fis un paquet de mes hardes, où je mis par mégarde quelques nippes de mon maître ; et quand j’eus porté cela chez le barbier, où mon habit d’homme à bonnes fortunes était encore, je répandis dans la ville l’accident funeste dont j’avais été témoin. Je le contai à qui voulut l’entendre, et surtout je ne manquai pas d’aller l’annoncer à Rodriguez. Il en parut moins affligé, qu’occupé des mesures qu’il avait à prendre là-dessus. Il assembla ses domestiques, leur ordonna de le suivre, et nous nous rendîmes tous au pré de Saint-Jérôme. Nous enlevâmes don Mathias qui respirait encore, mais qui mourut trois heures après qu’on l’eut transporté chez lui. Ainsi périt le seigneur don Mathias de Silva, pour s’être avisé de lire mal à propos des billets doux supposés.


CHAPITRE IX

Quelle personne il alla servir après la mort de don Mathias de Silva.


Quelques jours après les funérailles de don Mathias, tous ses domestiques furent payés et congédiés. J’établis mon domicile chez le petit barbier, avec qui je commençais à vivre dans une étroite liaison. Je m’y promettais plus d’agrément que chez Melendez. Comme