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mettre au lit tout à l’heure ? Dites à ce garçon que je repose, et qu’il revienne tantôt. Il veut, me répliqua-t-il, vous parler en ce moment ; il assure que la chose presse. À ces mots je me levai ; je mis seulement mon haut-de-chausses et mon pourpoint, et j’allai, en jurant, trouver le garçon qui m’attendait. Ami, lui dis-je, apprenez-moi, s’il vous plaît, quelle affaire pressante me procure l’honneur de vous voir de si grand matin. J’ai, me répondit-il, une lettre à donner en main propre au seigneur don Mathias, et il faut qu’il la lise tout présentement, cela est de la dernière conséquence pour lui : je vous prie de m’introduire dans sa chambre. Comme je crus qu’il s’agissait d’une affaire importante, je pris la liberté d’aller réveiller mon maître. Pardon, lui dis-je, si j’interromps votre repos ; mais l’importance… Que me veux-tu ? interrompit-il brusquement. Seigneur, lui dit alors le garçon qui m’accompagnait, c’est une lettre que j’ai à vous rendre de la part de don Lope de Velasco. Don Mathias prit le billet, l’ouvrit, et, après l’avoir lu, dit au valet de don Lope : Mon enfant, je ne me lèverais jamais avant midi, quelque partie de plaisir qu’on pût me proposer ; juge si je me lèverai à six heures du matin pour me battre ! Tu peux dire à ton maître que, s’il est encore à midi et demi dans l’endroit où il m’attend, nous nous y verrons ; va lui porter cette réponse. À ces mots il s’enfonça dans son lit, et ne tarda guère à se rendormir.

Il se leva et s’habilla fort tranquillement entre onze heures et midi ; puis il sortit, en me disant qu’il me dispensait de le suivre ; mais j’étais trop tenté de voir ce qu’il deviendrait, pour lui obéir. Je marchai sur ses pas jusqu’au pré de Saint-Jérôme, où j’aperçus don Lope de Velasco qui l’attendait de pied ferme. Je me cachai pour les observer tous deux ; et voici ce que je remarquai de loin. Ils se joignirent et commencèrent à se battre un moment après. Leur combat fut long. Ils se poussèrent tour à tour l’un l’autre avec beaucoup