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si brusquement l’épée à la main, que je n’eus pas le temps de lui répondre. Il me poussa d’abord très vivement ; mais j’eus le bonheur de parer tous les coups qu’il me porta. Je le poussai à mon tour : je sentis que j’avais affaire à un homme qui savait aussi bien se défendre qu’attaquer ; et je ne sais ce qu’il en serait arrivé, s’il n’eût pas fait un faux pas en reculant, et ne fût tombé à la renverse. Je m’arrêtai aussitôt, et dis au prince : Relevez-vous. Pourquoi m’épargner ? répondit-il ; votre pitié me fait injure. Je ne veux point, lui répliquai-je, profiter de votre malheur ; je ferais tort à ma gloire. Encore une fois, relevez-vous, et continuons notre combat.

Don Pompeyo, dit-il en se relevant, après ce trait de générosité, l’honneur ne me permet pas de me battre contre vous. Que dirait-on de moi, si je vous perçais le cœur ? Je passerais pour un lâche d’avoir arraché la vie à un homme qui me la pouvait ôter. Je ne puis donc plus m’armer contre vous, et je sens que la reconnaissance fait succéder de doux transports aux mouvements furieux qui m’agitaient. Don Pompeyo, continua-t-il, cessons de nous haïr l’un l’autre. Passons même plus avant ; soyons amis. Ah ! seigneur, m’écriai-je, j’accepte avec joie une proposition si agréable. Je vous voue une amitié sincère ; et, pour commencer à vous en donner des marques, je vous promets de ne plus remettre le pied chez dona Hortensia, quand elle voudrait me revoir. C’est moi, dit-il, qui vous cède cette dame ; il est plus juste que je vous l’abandonne, puisqu’elle a naturellement de l’inclination pour vous. Non, non, interrompis-je ; vous l’aimez. Les bontés qu’elle aurait pour moi pourraient vous faire de la peine ; je les sacrifie à votre repos. Ah ! trop généreux Castillan, reprit Radzivill en me serrant entre ses bras, vos sentiments me charment. Qu’ils produisent de remords dans mon âme ! Avec quelle douleur, avec quelle honte je me rappelle l’outrage que vous avez reçu ! La satisfaction