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peur la situation paisible où je paraissais être. Le roi jugea, comme ces derniers, que je n’étais pas homme à laisser un outrage impuni, et que je ne manquerais pas de me venger sitôt que j’en trouverais une occasion favorable. Pour savoir s’il devinait ma pensée, il me fit entrer un jour dans son cabinet, où il me dit : Don Pompeyo, je sais l’accident qui vous est arrivé, et je suis surpris, je l’avoue, de votre tranquillité ! Vous dissimulez certainement. Sire, lui répondis-je, j’ignore qui peut être l’offenseur ; j’ai été attaqué la nuit par des gens inconnus : c’est un malheur dont il faut bien que je me console. Non, non, répliqua le roi ; je ne suis point la dupe de ce discours peu sincère : on m’a tout dit. Le prince de Radzivill vous a mortellement offensé. Vous êtes noble et castillan, je sais à quoi ces deux qualités vous engagent : vous avez formé la résolution de vous venger. Faites-moi confidence du parti que vous avez pris ; je le veux. Ne craignez point de vous repentir de m’avoir confié votre secret.

Puisque Votre Majesté me l’ordonne, lui repartis-je, il faut donc que je lui découvre mes sentiments. Oui, seigneur, je songe à tirer vengeance de l’affront qu’on m’a fait. Tout homme qui porte un nom pareil au mien en est comptable à sa race. Vous savez l’indigne traitement que j’ai reçu, et je me propose d’assassiner le prince, pour me venger d’une manière qui réponde à l’offense. Je lui plongerai un poignard dans le sein, ou lui casserai la tête d’un coup de pistolet, et je me sauverai, si je puis, en Espagne. Voilà quel est mon dessein.

Il est violent, dit le roi ; néanmoins, je ne saurais le condamner. Après le cruel outrage que Radzivill vous a fait, il est digne du châtiment que vous lui réservez. Mais n’exécutez pas sitôt votre entreprise ; laissez-moi chercher un tempérament pour vous accommoder tous deux. Ah ! seigneur, m’écriai-je avec chagrin, pourquoi m’avez-vous obligé de vous révéler mon secret ? Quel tempérament peut… Si je n’en trouve pas qui vous