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vention. En bonne foi, poursuivit-il, croyez-vous avoir une troupe excellente ? Non, parbleu, dit le marquis, je ne le crois pas, et je ne veux défendre qu’un très petit nombre d’acteurs : j’abandonne tout le reste. Ne conviendrez-vous pas que l’actrice qui a joué le rôle de Didon est admirable ? N’a-t-elle pas représenté cette reine avec toute la noblesse et tout l’agrément convenables à l’idée que nous en avons ? Et n’avez-vous pas admiré avec quel art elle attache un spectateur, et lui fait sentir les mouvements de toutes les passions qu’elle exprime ? On peut dire qu’elle est consommée dans les raffinements de la déclamation. Je demeure d’accord, dit don Pompeyo, qu’elle sait émouvoir et toucher : jamais comédienne n’eut plus d’entrailles, et c’est une belle représentation ; mais ce n’est point une actrice sans défaut. Deux ou trois choses m’ont choqué dans son jeu. Veut-elle marquer de la surprise, elle roule les yeux d’une manière outrée ; ce qui sied mal à une princesse. Ajoutez à cela qu’en grossissant le son de sa voix, qui est naturellement doux, elle en corrompt la douceur, et forme un creux assez désagréable. D’ailleurs, il m’a semblé, dans plus d’un endroit de la pièce, qu’on pouvait la soupçonner de ne pas trop bien entendre ce qu’elle disait. J’aime mieux pourtant croire qu’elle était distraite, que de l’accuser de manquer d’intelligence.

À ce que je vois, dit alors don Mathias au censeur, vous ne seriez pas homme à faire des vers à la louange de nos comédiennes ? Pardonnez-moi, répondit don Pompeyo. Je découvre beaucoup de talent au travers de leurs défauts. Je vous dirai même que je suis enchanté de l’actrice qui a fait la suivante dans les intermèdes[1]. Le beau naturel ! Avec quelle grâce elle occupe la scène ! A-t-elle quelque bon mot à débiter, elle l’assaisonne d’un souris malin et plein de charmes,

  1. Éloge de Mlle Desmares.