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comprendre qu’elle ne me déplaisait pas. De son côté, pour me faire voir qu’elle méritait encore plus que je ne pensais mon attention, elle leva pour un moment son voile, et offrit à ma vue un visage des plus agréables. Cependant le carrosse partit, et je demeurai dans la rue, un peu étourdi des traits que je venais de voir. La jolie figure ! disais-je en moi-même : peste ! il faudrait cela pour m’achever. Si les deux dames qui aiment Mogicon sont aussi belles que celle-ci, voilà un faquin bien heureux. Je serais charmé de mon sort, si j’avais une pareille maîtresse. En faisant cette réflexion, je jetai les yeux par hasard sur la maison d’où j’avais vu sortir cette aimable personne, et j’aperçus à la fenêtre d’une salle basse une vieille femme qui me fit signe d’entrer.

Je volai aussitôt dans la maison, et je trouvai dans une salle assez propre cette vénérable et discrète vieille, qui, me prenant pour un marquis tout au moins, me salua respectueusement, et me dit : Je ne doute pas, seigneur, que vous n’ayez mauvaise opinion d’une femme qui, sans vous connaître, vous fait signe d’entrer chez elle ; mais vous jugerez peut-être plus favorablement de moi, quand vous saurez que je n’en use pas de cette sorte avec tout le monde. Vous me paraissez un seigneur de la cour. Vous ne vous trompez pas, ma mie, interrompis-je en étendant la jambe droite et penchant le corps sur la hanche gauche ; je suis, sans vanité, d’une des plus grandes maisons d’Espagne. Vous en avez bien la mine, reprit-elle, et je vous avouerai que j’aime à faire plaisir aux personnes de qualité : c’est mon faible. Je vous ai observé par ma fenêtre. Vous avez regardé très attentivement, ce me semble, une dame qui vient de me quitter. Vous sentiriez-vous du goût pour elle ? dites-le moi confidemment. Foi d’homme de cour ! lui répondis-je, elle m’a frappé : je n’ai jamais rien vu de plus piquant que cette créature-là. Faufilez-nous ensemble, ma bonne, et comptez sur ma