Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/203

Cette page a été validée par deux contributeurs.

soir un divertissement nouveau ; car j’aime à changer de plaisirs. Aussi n’y a-t-il que la variété des amusements qui rende la vie agréable. Un de mes amis m’entraîna chez un de ces seigneurs qui lèvent les impôts, et font leurs affaires avec celles de l’État. J’y vis de la magnificence, du bon goût, et le repas me parut assez bien entendu ; mais je trouvai dans les maîtres du logis un ridicule qui me réjouit. Le partisan, quoique des plus roturiers de sa compagnie, tranchait du grand ; et sa femme, bien qu’horriblement laide, faisait l’adorable, et disait mille sottises assaisonnées d’un accent biscayen qui leur donnait du relief. Ajoutez à cela qu’il y avait à table quatre ou cinq enfants avec un précepteur. Jugez si ce souper de famille me divertit !

Et moi, messieurs, dit don Alexo Segiar, j’ai soupé chez une comédienne, chez Arsénie. Nous étions six à table : Arsénie, Florimonde avec une coquette de ses amies, le marquis de Zenette, don Juan de Moncade, et votre serviteur. Nous avons passé la nuit à boire et à dire des gueulées. Quelle volupté ! il est vrai qu’Arsénie et Florimonde ne sont pas de grands génies ; mais elles ont un usage de débauche qui leur tient lieu d’esprit. Ce sont des créatures enjouées, vives, folles : cela ne vaut-il pas mieux cent fois que des femmes raisonnables ?


CHAPITRE IV

De quelle manière Gil Blas fit connaissance avec les valets des petits-maîtres et du secret admirable qu’ils lui enseignèrent pour avoir, à peu de frais, la réputation d’homme d’esprit, et du serment singulier qu’ils lui firent faire.


Ces seigneurs continuèrent à s’entretenir de cette sorte, jusqu’à ce que don Mathias, que j’aidais à s’habiller pendant ce temps-là, fût en état de sortir. Alors