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doit vous présenter lui-même à son maître, et vous pouvez compter qu’à ma considération il aura beaucoup d’égards pour vous.

Comme nous étions en chemin pour nous rendre à l’hôtel de don Mathias, le marchand me dit : Il est à propos, ce me semble, que je vous apprenne de quel caractère est l’intendant, afin que vous vous régliez là-dessus : il s’appelle Gregorio Rodriguez. Entre nous, c’est un homme de rien, qui, se sentant né pour les affaires, a suivi son génie, et s’est enrichi dans deux maisons ruinées, dont il a été l’intendant. Je vous avertis qu’il est fort vain ; il aime à voir ramper devant lui les autres domestiques. C’est à lui qu’ils doivent d’abord s’adresser, quand ils ont la moindre grâce à demander à leur maître ; car s’il arrive qu’ils l’aient obtenue sans sa participation, il a toujours des détours tout prêts pour faire révoquer la grâce ou pour la rendre inutile. Réglez-vous sur cela, Gil Blas : faites votre cour au seigneur Rodriguez, préférablement à votre maître même, et mettez tout en usage pour lui plaire. Son amitié vous sera d’une grande utilité. Il vous payera vos gages exactement, et, si vous êtes assez adroit pour gagner sa confiance, il pourra vous donner quelque petit os à ronger. Il en a tant ! Don Mathias est un jeune seigneur qui ne songe qu’à ses plaisirs, et qui ne veut prendre aucune connaissance de ses propres affaires. Quelle maison pour un intendant !

Lorsque nous fûmes arrivés à l’hôtel, nous demandâmes à parler au seigneur Rodriguez. On nous dit que nous le trouverions dans son appartement. Il y était en effet, et nous vîmes avec lui une manière de paysan qui tenait un sac de toile bleue, rempli d’espèces. L’intendant, qui me parut plus pâle et plus jaune qu’une fille fatiguée du célibat, vint au-devant de Melendez en lui tendant les bras : le marchand de son côté ouvrit les siens, et ils s’embrassèrent tous deux avec des démonstrations d’amitié, où il y avait beaucoup plus