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de civilités l’alguazil : je lui fis mille révérences profondes, quoique, dans le fond de mon âme, je sentisse pour lui le mépris et l’aversion que tout honnête homme a naturellement pour un alguazil.


CHAPITRE II

De l’étonnement où fut Gil Blas de rencontrer à Madrid le capitaine Rolando, et des choses curieuses que ce voleur lui raconta.


Don Bernard de Castil Blazo, après avoir conduit le corrégidor jusque dans la rue, revint vite sur ses pas fermer son coffre-fort et toutes les portes qui en faisaient la sûreté ; puis nous sortîmes l’un et l’autre très satisfaits, lui, de s’être acquis un ami puissant, et moi de me voir assuré de mes six réaux par jour. L’envie de conter cette aventure à Melendez me fit prendre le chemin de sa maison ; mais, comme j’étais près d’y arriver, j’aperçus le capitaine Rolando. Ma surprise fut extrême de le retrouver là et je ne pus m’empêcher de frémir à sa vue. Il me reconnut aussi, m’aborda gravement, et, conservant encore son air de supériorité, il m’ordonna de le suivre. J’obéis en tremblant, et dis en moi-même : Hélas ! il veut sans doute me faire payer tout ce que je lui dois. Où va-t-il me mener ? il a peut-être dans cette ville quelque souterrain. Malepeste ! si je le croyais, je lui ferais voir tout à l’heure que je n’ai pas la goutte aux pieds. Je marchais donc derrière lui, en donnant toute mon attention au lieu où il s’arrêterait, résolu de m’en éloigner à toutes jambes pour peu qu’il me parût suspect.

Rolando dissipa bientôt ma crainte. Il entra dans un fameux cabaret : je l’y suivis. Il demanda du meilleur vin, et dit à l’hôte de nous préparer à dîner. Pendant