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Comme il achevait de s’habiller, on frappa tout à coup à la porte. Mon maître regarda par la petite grille. Il reconnaît l’alguazil du jour précédent, et lui demande ce qu’il veut. Ouvrez, lui répond l’alguazil ; c’est M. le corrégidor. À ce nom redoutable mon sang se glaça dans mes veines. Je craignais diablement ces messieurs-là depuis que j’avais passé par leurs mains, et j’aurais voulu dans ce moment être à cent lieues de Madrid. Pour mon patron, il fut moins effrayé que moi ; il ouvrit la porte, et reçut le juge avec respect. Vous voyez, lui dit le corrégidor, que je ne viens point chez vous avec une grosse suite ; je veux faire les choses sans éclat. Malgré les bruits fâcheux qui courent de vous dans la ville, je crois que vous méritez quelque ménagement. Apprenez-moi comment vous vous appelez, et ce que vous faites à Madrid. Seigneur, lui répondit mon maître, je suis de la Castille-Nouvelle, et je me nomme don Bernard de Castil Blazo. À l’égard de mes occupations, je me promène, je fréquente les spectacles, et je me réjouis tous les jours avec un petit nombre de personnes d’un commerce agréable. Vous avez, sans doute, reprit le juge, un gros revenu ? Non, seigneur, interrompit mon patron, je n’ai ni rentes, ni terres, ni maisons. Et de quoi vivez-vous donc ? répliqua le corrégidor. De ce que je vais vous faire voir, repartit don Bernard. En même temps il leva une tapisserie, ouvrit une porte que je n’avais pas remarquée, puis encore une autre qui était derrière, et fit entrer le juge dans un cabinet où il y avait un grand coffre tout rempli de pièces d’or qu’il lui montra.

Seigneur, lui dit-il ensuite, vous savez que les Espagnols sont ennemis du travail ; cependant quelque aversion qu’ils aient pour la peine, je puis dire que j’enchéris sur eux là-dessus : j’ai un fonds de paresse qui me rend incapable de tout emploi. Si je voulais ériger mes vices en vertus, j’appellerais ma paresse une indolence philosophique ; je dirais que c’est l’ouvrage d’un esprit