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petite fenêtre grillée. Il vit un homme bien vêtu, qui lui dit : Seigneur cavalier, je suis alguazil, et je viens ici pour vous dire que M. le corrégidor souhaite de vous parler. Que me veut-il ? répond mon patron. C’est ce que j’ignore, seigneur, répliqua l’alguazil ; mais vous n’avez qu’à l’aller trouver, et vous en serez bientôt instruit. Je suis son serviteur, repartit mon maître ; je n’ai rien à démêler avec lui. En achevant ces mots, il referma brusquement la seconde porte ; puis, s’étant promené quelque temps, comme un homme à qui, ce me semblait, le discours de l’alguazil donnait beaucoup à penser, il me mit en main mes six réaux, et me dit : Gil Blas, tu peux sortir, mon ami, et aller passer la journée où tu voudras ; pour moi, je ne sortirai pas sitôt, et je n’ai pas besoin de toi ce matin. Il me fit juger par ces paroles qu’il avait peur d’être arrêté, et que cette crainte l’obligeait à demeurer dans son appartement. Je l’y laissai ; et, pour voir si je me trompais dans mes soupçons, je me cachai dans un endroit d’où je pouvais le remarquer s’il sortait. J’aurais eu la patience de me tenir là toute la matinée, s’il ne m’en eût épargné la peine. Mais une heure après, je le vis marcher dans la rue avec un air d’assurance qui confondit d’abord ma pénétration. Loin de me rendre toutefois à ces apparences, je m’en défiai ; car il n’avait point en moi un jeu favorable. Je songeai que sa contenance pouvait être étudiée, je m’imaginai même qu’il n’était resté chez lui que pour prendre tout ce qu’il avait d’or ou de pierreries, et que probablement il allait, par une prompte fuite, pourvoir à sa sûreté. Je n’espérai plus le revoir, et je doutai si j’irais le soir l’attendre à sa porte, tant j’étais persuadé que dès ce jour-là il sortirait de la ville pour se sauver du péril qui le menaçait ! Je n’y manquai pas pourtant : ce qui me surprit, mon maître revint à son ordinaire. Il se coucha sans faire paraître la moindre inquiétude, et il se leva le lendemain avec autant de tranquillité.