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sortir du village et entrer dans la plaine un grand concours de personnes de l’un et de l’autre sexe. C’étaient les deux époux, accompagnés de leurs parents et de leurs amis, et précédés de dix à douze joueurs d’instruments, qui, jouant tous ensemble, formaient un concert très bruyant. Nous allâmes au-devant d’eux, et Diego se fit connaître. Des cris de joie s’élevèrent aussitôt dans l’assemblée, et chacun s’empressa de courir à lui. Il n’eut pas peu d’affaires à recevoir tous les témoignages d’amitié qu’on lui donna. Toute sa famille et tous ceux mêmes qui étaient présents l’accablèrent d’embrassades, après quoi son père lui dit : Tu sois le bien venu, Diego ! Tu retrouves tes parents un peu engraissés, mon ami ; je ne t’en dis pas davantage présentement ; je t’expliquerai cela tantôt par le menu. Cependant tout le monde s’avança dans la plaine, se rendit sous les tentes, et s’assit autour des tables qu’on y avait dressées. Je ne quittai pas mon compagnon, et nous dînâmes tous deux avec les nouveaux mariés, qui me parurent bien assortis. Le repas fut assez long, parce que le maître d’école eut la vanité de le vouloir donner à trois services, pour l’emporter sur ses frères qui n’avaient pas fait les choses si magnifiquement.

Après le festin, tous les convives témoignèrent une grande impatience de voir représenter la pièce du seigneur Thomas, ne doutant pas, disaient-ils, que la production d’un aussi beau génie que le sien ne méritât d’être entendue. Nous nous approchâmes du théâtre, au-devant duquel tous les joueurs d’instruments s’étaient déjà placés pour jouer dans les entr’actes. Comme chacun, dans un grand silence, attendait qu’on commençât, les acteurs parurent sur la scène ; et l’auteur, le poème à la main, s’assit dans les coulisses, à portée de souffler. Il avait eu raison de nous dire que la pièce était tragique ; car, dans le premier acte, le roi de Maroc, par manière de récréation, tua cent esclaves maures à coups de flèches ; dans le second, il coupa la tête à trente