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CHAPITRE VIII

De la rencontre que Gil Blas et son compagnon firent d’un homme qui trempait des croûtes de pain dans une fontaine, et de l’entretien qu’ils eurent avec lui.


Le seigneur Diego de la Fuente me raconta d’autres aventures encore qui lui étaient arrivées depuis ; mais elles me semblent si peu dignes d’être rapportées, que je les passerai sous silence. Je fus pourtant obligé d’en entendre le récit, qui ne laissa pas d’être fort long ; il nous mena jusqu’à Ponte de Duero. Nous nous arrêtâmes dans ce bourg le reste de la journée. Nous fîmes faire dans l’hôtellerie une soupe aux choux, et mettre à la broche un lièvre que nous eûmes grand soin de vérifier. Nous poursuivîmes notre chemin dès la pointe du jour suivant, après avoir rempli notre outre d’un vin assez bon, et notre sac de quelques morceaux de pain, avec la moitié du lièvre qui nous restait de notre souper.

Lorsque nous eûmes fait environ deux lieues, nous nous sentîmes de l’appétit, et, comme nous aperçûmes à deux cents pas du grand chemin plusieurs gros arbres qui formaient dans la campagne un ombrage très agréable, nous allâmes faire halte en cet endroit. Nous y rencontrâmes un homme de vingt-sept à vingt-huit ans, qui trempait des croûtes de pain dans une fontaine. Il avait auprès de lui une longue rapière étendue sur l’herbe, avec un havre-sac dont il s’était déchargé les épaules. Il nous parut mal vêtu, mais bien fait et de bonne mine. Nous l’abordâmes civilement : il nous salua de même. Ensuite, il nous présenta de ses croûtes, et nous demanda d’un air riant si nous voulions être de la partie. Nous lui répondîmes qu’oui, pourvu qu’il trouvât bon que, pour rendre le repas plus solide, nous joignissions notre déjeuner au sien. Il y consentit fort