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même à mon esprit Mergelina avec de nouveaux charmes, et releva le prix des plaisirs qui m’attendaient. Je résolus de poursuivre ma pointe ; et, me promettant bien d’avoir plus de fermeté, je me rendis le lendemain dans cette belle disposition, à la porte du docteur, entre onze heures et minuit. Le ciel était très obscur ; je n’y voyais pas briller une étoile. Je miaulai deux ou trois fois pour avertir que j’étais dans la rue ; et, comme personne ne venait ouvrir, je ne me contentai pas de recommencer, je me mis à contrefaire tous les différents cris de chat qu’un berger d’Olmedo m’avait appris ; et je m’en acquittai si bien, qu’un voisin qui rentrait chez lui, me prenant pour un de ces animaux dont j’imitais les miaulements, ramassa un caillou qui se trouva sous ses pieds, et me le jeta de toute sa force, en disant : Maudit soit le matou ! Je reçus le coup à la tête, et j’en fus si étourdi dans le moment, que je pensai tomber à la renverse. Je sentis que j’étais bien blessé. Il ne m’en fallut pas davantage pour me dégoûter de la galanterie ; et, perdant mon amour avec mon sang, je regagnai notre maison, où je réveillai et fis lever tout le monde. Mon maître visita et pansa ma blessure, qu’il jugea dangereuse. Elle n’eut pas pourtant de mauvaises suites, et il n’y paraissait plus trois semaines après. Pendant tout ce temps-là, je n’entendis point parler de Mergelina. Il est à croire que la dame Melancia, pour la détacher de moi, lui fit faire quelque bonne connaissance. Mais c’est de quoi je ne m’embarrassais guère, puisque je sortis de Madrid pour continuer mon tour d’Espagne, d’abord que je me vis parfaitement guéri.