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qu’une ennemie des plaisirs, et je ne me rends ministre de la jalousie des maris que pour servir les jolies femmes. Il y a longtemps que je possède le grand art de me masquer, et je puis dire que je suis doublement heureuse, puisque je jouis tout ensemble de la commodité du vice et de la réputation que donne la vertu. Entre nous, le monde n’est guère vertueux que de cette façon. Il en coûte trop pour acquérir le fond des vertus : on se contente aujourd’hui d’en avoir les apparences.

Laissez-moi vous conduire, poursuivit la gouvernante ; nous allons bien en faire accroire au vieux docteur Oloroso. Il aura, par ma foi, le même destin que le seigneur Apuntador. Le front d’un médecin ne me paraît pas plus respectable que celui d’un apothicaire. Le pauvre Apuntador ! que nous lui avons joué de tours, sa femme et moi ! que cette dame était aimable ! le bon petit naturel ! le ciel lui fasse paix ! Je vous réponds qu’elle a bien passé sa jeunesse. Elle a eu je ne sais combien d’amants que j’ai introduits dans sa maison, sans que son mari s’en soit jamais aperçu. Regardez-moi donc, madame, d’un œil plus favorable, et soyez persuadée, quelque talent qu’eût le vieil écuyer qui vous servait, que vous ne perdez rien au change. Je vous serai peut-être encore plus utile que lui.

Je vous laisse à penser, Diego, continua Mergelina, si je sus bon gré à la duègne de se découvrir à moi si franchement. Je la croyais d’une vertu austère. Voilà comme on juge mal les femmes ! Elle me gagna d’abord par ce caractère de sincérité. Je l’embrassai avec un transport de joie qui lui marqua d’avance que j’étais charmée de l’avoir pour gouvernante. Je lui fis ensuite une confidence entière de mes sentiments, et je la priai de me ménager au plus tôt un entretien secret avec vous. Elle n’y a pas manqué. Dès ce matin elle a mis en campagne cette vieille qui vous a parlé, et qui est une intrigante qu’elle a souvent employée pour la femme de l’apothicaire. Mais ce qu’il y a de plus plaisant dans