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vous savez, avait de la jeunesse et de la beauté, je n’ai pas vu l’ombre d’un galant dans ma maison. Oh ! vive Dieu ! il ne fallait pas s’y jouer. Je vous dirai même que la défunte, dans les commencements, avait une grande propension à la coquetterie ; mais la dame Melancia la refroidit bientôt, et lui inspira du goût pour la vertu. Enfin, c’est un trésor que cette gouvernante, et vous me remercierez plus d’une fois de vous avoir fait ce présent. Là-dessus le docteur a témoigné que ce discours lui donnait bien de la joie ; et ils sont convenus, le seigneur Apuntador et lui, que la duègne irait, dès ce jour, remplir la place du vieil écuyer.

Cette nouvelle, que je crus véritable, et qui l’était en effet, troubla les idées de plaisir dont je recommençais à me repaître ; et Marcos, l’après-dînée, acheva de les confondre, en me confirmant le rapport du garçon apothicaire. Mon cher Diego, me dit le bon écuyer, je suis ravi que le docteur Oloroso m’ait chassé de sa maison ; il m’épargne par là bien des peines. Outre que je me voyais à regret chargé d’un vilain emploi, il m’aurait fallu imaginer des ruses et des détours pour vous faire parler en secret à Mergelina. Quel embarras ! Grâce au ciel, je suis délivré de ces soins fâcheux, et du danger qui les accompagnait. De votre côté, mon fils, vous devez vous consoler de la perte de quelques doux moments, qui auraient pu être suivis de mille chagrins. Je goûtai la morale de Marcos, parce que je n’espérais plus rien, et je quittai la partie. Je n’étais pas, je l’avoue, de ces amants opiniâtres qui se raidissent contre les obstacles : mais quand je l’aurais été, la dame Melancia m’eût fait lâcher prise. Le caractère qu’on donnait à cette duègne me paraissait capable de désespérer tous les galants. Cependant, avec quelques couleurs qu’on me l’eût peinte, je ne laissai pas, deux ou trois jours après, d’apprendre que la femme du médecin avait endormi cet argus, ou corrompu sa fidélité. Comme je sortais pour aller raser un de nos voisins, une bonne