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sera voir sa faiblesse au docteur Oloroso, son mari ; et ce mari, qui se montre aujourd’hui si complaisant, parce qu’il ne croit pas avoir sujet d’être jaloux, deviendra furieux, se vengera d’elle, et pourra nous faire, à vous et à moi, un fort mauvais parti. Eh bien ! repris-je, seigneur Marcos, je me rends à vos raisons et m’abandonne à vos conseils. Prescrivez-moi la conduite que je dois tenir, pour prévenir tout sinistre accident. Nous n’avons qu’à ne plus faire de concerts, repartit-il. Cessez de paraître devant ma maîtresse : quand elle ne vous verra plus, elle reprendra sa tranquillité. Demeurez chez votre maître, j’irai vous y trouver, et nous jouerons là de la guitare sans péril. J’y consens, lui dis-je, et je vous promets de ne plus remettre le pied chez vous. Effectivement, je résolus de ne plus aller chanter à la porte du médecin, et de me tenir désormais renfermé dans ma boutique, puisque j’étais un homme si dangereux à voir.

Cependant, le bon écuyer Marcos, avec toute sa prudence, éprouva, peu de jours après, que le moyen qu’il avait imaginé pour éteindre les feux de dona Mergelina produisait un effet tout contraire. La dame, dès la seconde nuit, ne m’entendant point chanter, lui demanda pourquoi nous avions discontinué nos concerts, et pour quelle raison elle ne me voyait plus. Il répondit que j’étais si occupé, que je n’avais pas un moment à donner à mes plaisirs. Elle parut se contenter de cette excuse, et pendant trois autres jours encore elle soutint mon absence avec assez de fermeté ; mais, au bout de ce temps-là, ma princesse perdit patience, et dit à son écuyer : Vous me trompez, Marcos ; Diego n’a pas cessé sans sujet de venir ci. Il y a là-dessous un mystère que je veux éclaircir. Parlez, je vous l’ordonne ; ne me cachez rien. Madame, lui répondit-il en la payant d’une autre défaite, puisque vous souhaitez de savoir les choses, je vous dirai qu’il lui est souvent arrivé, après nos concerts, de trouver chez lui la table