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désagréable repartie ; néanmoins, elle ne se révolta pas contre ma remontrance ; elle se contenta de la rendre inutile, de même que celle qu’il me prit sottement envie de lui faire les jours suivants.

Je me lassai de l’avertir en vain de ses défauts, et je l’abandonnai à la férocité de son naturel. Cependant, le croirez-vous ? cet esprit farouche, cette orgueilleuse femme est depuis deux mois entièrement changée d’humeur. Elle a de l’honnêteté pour tout le monde, et des manières très agréables. Ce n’est plus cette même Mergelina qui ne répondait que des sottises aux hommes qui lui tenaient des discours obligeants ; elle est devenue sensible aux louanges qu’on lui donne ; elle aime qu’on lui dise qu’elle est belle, qu’un homme ne peut la voir impunément ; les flatteries lui plaisent ; elle est présentement comme une autre femme. Ce changement est à peine concevable : et ce qui doit encore vous étonner davantage, c’est d’apprendre que vous êtes l’auteur d’un si grand miracle. Oui, mon cher Diego, continua l’écuyer, c’est vous qui avez ainsi métamorphosé dona Mergelina ; vous avez fait une brebis de cette tigresse ; en un mot, vous vous êtes attiré ainsi son attention. Je m’en suis aperçu plus d’une fois ; et je me connais mal en femmes, ou bien elle a conçu pour vous un amour très violent. Voilà, mon fils, la triste nouvelle que j’avais à vous annoncer, et la fâcheuse conjoncture où nous nous trouvons.

Je ne vois pas là, dis-je alors au vieillard, qu’il y ait là-dedans un si grand sujet d’affliction pour nous, ni que ce soit un malheur pour moi d’être aimé d’une jolie dame. Ah ! Diego, répliqua-t-il, vous raisonnez en jeune homme ; vous ne voyez que l’appât, vous ne prenez point garde à l’hameçon ; vous ne regardez que le plaisir, et moi, j’envisage tous les désagréments qui le suivent. Tout éclate à la fin ; si vous continuiez de venir chanter à notre porte, vous irriteriez la passion de Mergelina, qui, perdant peut-être toute retenue, lais-