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Je sortis, et me promenai toute la matinée dans la ville, en songeant sans cesse à la réception que mon oncle me ferait. Je crois, disais-je en moi-même, qu’il sera ravi de me voir. Je jugeais de ses sentiments par les miens, et je me préparais à une reconnaissance fort touchante. Je retournai chez lui en diligence à l’heure qu’on m’avait marquée. Vous arrivez à propos, me dit son valet, mon maître va bientôt sortir. Attendez ici un instant, je vais vous annoncer. À ces mots, il me laissa dans l’antichambre. Il y revint un moment après, et me fit entrer dans la chambre de son maître, dont le visage me frappa d’abord par un air de famille. Il me sembla que c’était mon oncle Thomas, tant ils se ressemblaient tous deux. Je le saluai avec un profond respect, et lui dis que j’étais fils de maître Nicolas de la Fuente, barbier d’Olmedo : je lui appris aussi que j’exerçais à Madrid, depuis trois semaines, le métier de mon père en qualité de garçon, et que j’avais dessein de faire le tour de l’Espagne pour me perfectionner. Tandis que je parlais, je m’aperçus que mon oncle rêvait. Il doutait apparemment s’il me désavouerait pour son neveu, ou s’il se déferait adroitement de moi : il choisit ce dernier parti. Il affecta de prendre un air riant et me dit : Eh bien : mon ami, comment se portent ton père et tes oncles ? dans quel état sont leurs affaires ? Je commençai là-dessus à lui raconter la propagation copieuse de notre famille ; je lui en nommai tous les enfants mâles et femelles, et je compris, dans cette liste, jusqu’à leurs parrains et leurs marraines. Il ne parut pas s’intéresser infiniment à ce détail ; et venant à ses fins : Diego, reprit-il, j’approuve fort que tu coures le pays pour te rendre parfait dans ton art, et je te conseille de ne point t’arrêter plus longtemps à Madrid : c’est un séjour pernicieux pour la jeunesse ; tu t’y perdrais, mon enfant. Tu feras mieux d’aller dans les autres villes du royaume : les mœurs n’y sont pas si corrompues. Va-t’en, poursuivit-il ; et, quand tu