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ques personnes, en passant par Olmedo, nous l’avaient dit ; mais comme il négligeait de nous donner de ses nouvelles, et qu’il paraissait fort détaché de nous, de notre côté nous vivions dans une très grande indifférence pour lui. Bon sang toutefois ne peut mentir : dès que j’entendis dire qu’il était dans une belle passe, et que je sus où il demeurait, je fus tenté de l’aller trouver. Une chose m’embarrassait : les auteurs l’avaient appelé don Pedro. Ce don me fit quelque peine, et je craignais que ce ne fût un autre poète que mon oncle. Cette crainte pourtant ne m’arrêta point ; je crus qu’il pouvait être devenu noble ainsi que bel esprit, et je résolus de le voir. Pour cet effet, avec la permission de mon maître, je m’ajustai un matin le mieux que je pus, et je sortis de notre boutique, un peu fier d’être le neveu d’un homme qui s’était acquis tant de réputation par son génie. Les barbiers ne sont pas les gens du monde les moins susceptibles de vanité. Je commençai à concevoir une grande opinion de moi ; et, marchant d’un air présomptueux, je me fis enseigner l’hôtel du duc de Medina Celi. Je me présentai à la porte, et dis que je souhaitais de parler au seigneur don Pedro de la Fuente. Le portier me montra du doigt, au fond d’une cour, un petit escalier, et me répondit : Montez par là, puis frappez à la première porte que vous rencontrerez à main droite. Je fis ce qu’il me disait : je frappai à une porte. Un jeune homme vint ouvrir, et je lui demandai si c’était là que logeait le seigneur don Pedro de la Fuente. Oui, me répondit-il ; mais vous ne sauriez lui parler présentement. Je serais bien aise, lui dis-je, de l’entretenir ; je viens lui apprendre des nouvelles de sa famille. Quand vous auriez, repartit-il, des nouvelles du pape à lui dire, je ne vous introduirais pas dans sa chambre en ce moment ; il compose et, lorsqu’il travaille, il faut bien se garder de le distraire de son ouvrage. Il ne sera visible que sur le midi : allez faire un tour, et revenez dans ce temps-là.