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me remis en campagne. Je visitai plusieurs malades que j’avais inscrits, et je les traitai tous de la même manière, bien qu’ils eussent des maux différents. Jusque-là les choses s’étaient passées sans bruit, et personne, grâces au ciel, ne s’était encore révolté contre mes ordonnances ; mais, quelque excellente que soit la pratique d’un médecin, elle ne saurait manquer de censeurs ni d’envieux. J’entrai chez un marchand épicier qui avait un fils hydropique. J’y trouvai un petit médecin brun, qu’on nommait le docteur Cuchillo, et qu’un parent du maître de la maison venait d’amener pour voir le malade. Je fis de profondes révérences à tout le monde, et particulièrement au personnage que je jugeai qu’on avait appelé pour le consulter sur la maladie dont il s’agissait. Il me salua d’un air grave ; puis, m’ayant envisagé quelques moments avec beaucoup d’attention : Seigneur docteur, me dit-il, je vous prie d’excuser ma curiosité. Je croyais connaître tous les médecins de Valladolid, mes confrères, et cependant je vous avoue que vos traits me sont inconnus. Il faut que depuis très peu de temps vous soyez venu vous établir dans cette ville. Je répondis que j’étais un jeune praticien, et que je ne travaillais encore que sous les auspices du docteur Sangrado. Je vous félicite, reprit-il poliment, d’avoir embrassé la méthode d’un si grand homme. Je ne doute point que vous ne soyez déjà très habile, quoique vous paraissiez bien jeune. Il dit cela d’un air si naturel, que je ne savais s’il avait parlé sérieusement, ou s’il s’était moqué de moi ; et je rêvais à ce que je devais lui répliquer, lorsque l’épicier, prenant ce moment pour parler, nous dit : Messieurs, je suis persuadé que vous savez parfaitement l’un et l’autre l’art de la médecine : examinez, s’il vous plaît, mon fils, et ordonnez ce que vous jugerez à propos qu’on fasse pour le guérir.

Là-dessus le petit médecin se mit à observer le malade ; et, après m’avoir fait remarquer tous les