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dre, Celse même t’en sera garant. Cet oracle latin fait un éloge admirable de l’eau : ensuite il dit en termes exprès que ceux qui, pour boire du vin, s’excusent sur la faiblesse de leur estomac, font une injustice manifeste à ce viscère, et cherchent à couvrir leur sensualité.

Comme j’aurais eu mauvaise grâce de me montrer indocile en entrant dans la carrière de la médecine, je fis semblant d’être persuadé qu’il avait raison ; j’avouerai même que je le crus effectivement. Je continuai donc à boire de l’eau, sur la garantie de Celse, ou plutôt je commençai à noyer la bile en buvant copieusement de cette liqueur, et quoique de jour en jour je m’en sentisse plus incommodé, le préjugé l’emportait sur l’expérience. J’avais, comme l’on voit, une heureuse disposition à devenir médecin. Je ne pus pourtant résister toujours à la violence de mes maux, qui s’accrurent à un point, que je pris enfin la résolution de sortir de chez le docteur Sangrado. Mais il me chargea d’un nouvel emploi qui me fit changer de sentiment. Écoute, me dit-il un jour, je ne suis point de ces maîtres durs et ingrats, qui laissent vieillir leurs domestiques dans la servitude avant que de les récompenser. Je suis content de toi, je t’aime ; et, sans attendre que tu m’aies servi plus longtemps, j’ai pris la résolution de faire ta fortune dès aujourd’hui ; je veux tout à l’heure te découvrir le fin de l’art salutaire que je professe depuis tant d’années. Les autres médecins en font consister la connaissance dans mille sciences pénibles ; et moi, je prétends t’abréger un chemin si long, et t’épargner la peine d’étudier la physique, la pharmacie, la botanique et l’anatomie. Sache, mon ami, qu’il ne faut que saigner et faire boire de l’eau chaude : voilà le secret de guérir toutes les maladies du monde. Oui, ce simple secret que je te révèle, et que la nature, impénétrable à mes confrères, n’a pu dérober à mes observations, est renfermé dans ces deux points : dans la saignée et dans la