Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/119

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sait la vieillesse une phtisie naturelle qui nous dessèche et nous consume ; et, sur cette définition, il déplorait l’ignorance de ceux qui nomment le vin le lait des vieillards. Il soutenait que le vin les use et les détruit, et disait fort éloquemment que cette liqueur funeste est pour eux, comme pour tout le monde, un ami qui trahit et un plaisir qui trompe.

Malgré ces doctes raisonnements, après avoir été huit jours dans cette maison, il me prit un cours de ventre, et je commençai à sentir de grands maux d’estomac, que j’eus la témérité d’attribuer au dissolvant universel et à la mauvaise nourriture que je prenais. Je m’en plaignis à mon maître, dans la pensée qu’il pourrait se relâcher et me donner un peu de vin à mes repas ; mais il était trop ennemi de cette liqueur pour me l’accorder. Quand tu auras formé l’habitude de boire de l’eau, me dit-il, tu en connaîtras l’excellence ; au reste, poursuivit-il, si tu te sens quelque dégoût pour l’eau pure, il y a des secours innocents pour soutenir l’estomac contre la fadeur des boissons aqueuses. La sauge, par exemple, et la véronique, leur donnent un goût délectable ; et, si tu veux les rendre encore plus délicieuses, tu n’as qu’à y mêler de la fleur d’œillet, du romarin ou du coquelicot.

Il avait beau vanter l’eau et m’enseigner le secret d’en composer des breuvages exquis, j’en buvais avec tant de modération, que, s’en étant aperçu, il me dit : Eh ! vraiment, Gil Blas, je ne m’étonne point si tu ne jouis pas d’une parfaite santé ; tu ne bois pas assez, mon ami. L’eau prise en petite quantité ne sert qu’à développer les parties de la bile, et qu’à leur donner plus d’activité ; au lieu qu’il les faut noyer dans un délayant copieux. Ne crains pas, mon cher enfant, que l’abondance de l’eau affaiblisse ou refroidisse ton estomac : loin de toi cette terreur panique que tu te fais peut-être de la boisson fréquente ! Je te garantis de l’événement ; et, si tu ne me trouves pas bon pour t’en répon-