Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.

trouvèrent la gouvernante si affligée, qu’ils crurent d’abord que le chanoine n’avait point fait de testament : mais ils apprirent bientôt, à leur grand regret, qu’il y en avait un, revêtu de toutes les formalités nécessaires. Lorsqu’on vint à l’ouvrir, et qu’ils virent que le testateur avait disposé de ses meilleurs effets en faveur de la dame Jacinte et de la petite fille, ils firent son oraison funèbre dans des termes peu honorables à sa mémoire. Ils apostrophèrent en même temps la béate, et firent aussi quelque mention de moi. Il faut avouer que je le méritais bien. Le licencié, devant Dieu soit son âme ! pour m’engager à me souvenir de lui toute ma vie, s’expliquait ainsi pour mon compte par un article de son testament : Item, puisque Gil Blas est un garçon qui a déjà de la littérature, pour achever de le rendre savant, je lui laisse une bibliothèque, tous mes livres et mes manuscrits, sans aucune exception.

J’ignorais où pouvait être cette prétendue bibliothèque ; je ne m’étais point aperçu qu’il y en eût dans la maison. Je savais seulement qu’il y avait quelques papiers, avec cinq ou six volumes, sur deux petits ais de sapin dans le cabinet de mon maître : c’était là mon legs. Encore ces livres ne me pouvaient-ils être d’une grande utilité : l’un avait pour titre le Cuisinier parfait ; l’autre traitait de l’indigestion et de la manière de la guérir ; et les autres étaient les quatre parties du bréviaire, que les vers avaient à demi rongées. À l’égard des manuscrits, le plus curieux contenait toutes les pièces d’un procès que le chanoine avait eu autrefois pour sa prébende. Après avoir examiné mon legs avec plus d’attention qu’il n’en méritait, je l’abandonnai aux parents qui me l’avaient tant envié. Je leur remis même l’habit dont j’étais revêtu, et je repris le mien, bornant à mes gages le fruit de mes services. J’allai chercher ensuite une autre maison. Pour la dame Jacinte, outre les sommes qui lui avaient été léguées,