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sante, que je sortis vite pour faire ce qu’il m’ordonnait, laissant auprès de lui la dame Jacinte, qui craignait encore plus que moi qu’il ne mourût sans tester. J’entrai dans la maison du premier notaire dont on m’enseigna la demeure ; et le trouvant chez lui : Monsieur, lui dis-je, le licencié Sedillo, mon maître, tire à sa fin ; il veut faire écrire ses dernières volontés ; il n’y a pas un moment à perdre. Le notaire était un petit vieillard gai, qui se plaisait à railler : il me demanda quel médecin voyait le chanoine. Je lui répondis que c’était le docteur Sangrado. À ce nom, prenant brusquement son manteau et son chapeau : Vive Dieu ! s’écria-t-il, partons donc en diligence ; car ce docteur est si expéditif, qu’il ne donne pas le temps à ses malades d’appeler des notaires. Cet homme-là m’a bien soufflé des testaments.

En parlant de cette sorte, il s’empressa de sortir avec moi ; et, pendant que nous marchions tous deux à grands pas pour prévenir l’agonie, je lui dis : Monsieur, vous savez qu’un testateur mourant manque souvent de mémoire ; si par hasard mon maître vient à m’oublier, je vous prie de le faire souvenir de mon zèle. Je le veux bien, mon enfant, me répondit le notaire, tu peux compter là-dessus. Il est juste qu’un maître récompense un domestique qui l’a bien servi. Je l’exhorterai même à te donner quelque chose de considérable, pour peu qu’il soit disposé à reconnaître tes services. Le licencié, quand nous arrivâmes dans sa chambre, avait encore tout son bon sens. La dame Jacinte, le visage baigné de pleurs de commande, était auprès de lui. Elle venait de jouer son rôle, et de préparer le bonhomme à lui faire beaucoup de bien. Nous laissâmes le notaire seul avec mon maître, et passâmes, elle et moi, dans l’antichambre, où nous rencontrâmes le chirurgien que le médecin envoyait pour faire une nouvelle et dernière saignée. Nous l’arrêtâmes. Attendez maître Martin, lui dit la gouvernante ; vous ne sauriez